Les fantômatiques aventures
de Leikki
dans la ville.

(Texte français)

Personne n’a jamais vu Leikki. Sa beauté est éphémère,
non parce qu’elle ne dure pas, mais parce qu’elle est bien trop vive et fugace pour qu’on puisse la fixer.
Pourtant, certains disent que si son image se laissait capturer sur le papier, elle ressemblerait à une jeune fille, aux longs cheveux soyeux et foncés, dont les yeux en amande se plisseraient lorsque, par mégarde, elle sourirait en silence.

C'était un jour de colère, un jour mauve, un jour de nuages gris et de pluie épaisse. Leikki partit, armée d'un sévère froncement de sourcils et d'un dur plissement des lèvres.
Le parc absorbait le liquide et remplissait ses branchies.
Au franchir de la limite, Leikki sentit dans son dos un chaud bruissement qui faiblissait.

Leikki entra dans la pièce. Tous ces hommes, assis autour d'une table ronde. Un fer à cheval, à bien y regarder. Des faces grisâtres et peu engageantes. Elle n'entendait pas un mot sortir de ces bouches remuantes.
Leikki quitta la pièce sourde, et chantonnant doucement, se mit en quête d'êtres plus humains.

Leikki est arrivée au pied du site. Elle entre dans le hall vitré, et attend sagement l’ascenceur. Tout en haut, c’est là que le ciel touche le plafond.
Et puis, regardant vers le Nord, dans un nuage de poussières légères et virevoltantes, dans un reflet du métal et du verre, Leikki aperçut un visage qui descendait. Elle crut un instant voir sa jumelle.

Leikki descend une marche, puis une autre, puis une troisième. Son ombre légère porte l’apparat du lampadaire, haut sur le trottoir.
Sa silhouette furtive longe le quai dans toute sa vaste longueur; elle contourne, joueuse, les piliers de fonte peints, et compte chaque carreau de faïence.

A la première vibration, sourde, du train métallique express, elle s’engagea, silencieuse, vers le gouffre orné de lanternes bleues et, par intermittence scintillantes.

Les femmes passent et repassent à la fenêtre. A l’extérieur, la froideur n’est pas encore mordante, et souvent une fille passe pieds nus. Chaque fois, c’est une autre, et elles se ressemblent toutes. A l’intérieur, la musique tapisse la couleur de l’air et l’alcool élève les pensées.
Je vis le dos découpé de Leikki au moment où elle se leva de table. Elle n’avait pas dit un mot, tout le temps qu’elle était avec moi, et que, sans plus d’espoir, j’attendais à la fenêtre son impromptu passage.

Un jet de vapeur s’échappait d’une fissure dans le bitume. Bien sûr, le froid extérieur blanchissait cette fumée sous-terraine et la propulsait avec vigueur dans l’air statique et bleu. A quelques mètres au-dessus du sol, flottait l’ombre de Leikki qui s’étonnait avec amusement.

Dans la salle de bains, Leikki se déshabille. Son corps lent s’installe, et à genoux j’entoure sa taille basse. Son corps lourd vibre et flotte. Les mains pleines, je me laisse aller à écouter la résonnance, sur le carrelage, du flux qui tinte dans l’obscurité.

C’était un temps où la ville grouillait de solitudes. Les quais de métro débordaient d’être vivants, qui pensaient savoir où ils allaient. Le mouvement perpétuel charriait sur les bords les rebuts de la journée, qui s’asseyaient et observaient de plus en plus loin.
Et puis, le passage vif du temps sembla couler à rebours, jusqu’à l’époque inconnue où les collines se redressèrent, où les rivières se remirent à couler, où la forêt reprit son emprise monochrome.
Il ne resta bientôt plus que la trace oblique d’un ancien sentier, préservé par la nature magnanime.

Arth, pour Leikki

New York
Texte français le 2 novembre 2002
English Text 9 November, 2002

 

 

 

 

 

3 mars 2004

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